1 mai 2013

Foot : « La stigmatisation de l’arbitre fait vendre du papier »

Chaque week-end, ils sont critiqués par les acteurs de la Ligue 1 ou insultés sur les terrains amateurs. Quatre arbitres racontent leur passion et se défendent.




Zlatan Ibrahimovic face à Tony Chapron lors de PSG-Nice en avril 2013


Un arbitre de football n’a pas le droit à l’erreur. En fait, c’est même plus compliqué que ça : même quand sa décision est bonne, il y a toujours quelqu’un pour dire qu’il a tort. Ça fait partie du métier, alors il fait face. Seul. Au public, aux joueurs, aux dirigeants.

J’ai interrogé quatre arbitres :
  • Antony Gautier, 35 ans, arbitre international ;
  • Elodie Coppola, 29 ans, arbitre central en division d’honneur chez les hommes, en première division et arbitre international assistante chez les femmes ;
  • Nathanaël Pitel, 33 ans, arbitre en district, en France-Comté ;
  • Yann, 18 ans, arbitre dans les catégories de jeunes en Artois.
Au départ, il y a la passion du foot. Et ensuite, une vocation pour certains, un concours de circonstances, peut-être un choix par défaut, pour d’autres.

Antony Gautier :
« C’est quelque chose de l’ordre du viscéral, qui n’a rien d’un choix par défaut, motivé, comme cela a été le cas pour certains, par la frustration d’un niveau trop limité en matière de football. Je suis devenu arbitre à 15 ans, pour la passion que m’a très tôt inspiré la fonction. »
Antony Gautier lors de PSG-Marseille en octobre 2012 (Franck Fife/AFP)

   

Tous apprécient la possibilité d’avoir des responsabilités, d’évoluer entre les niveaux plus facilement qu’en étant joueur. Yann trouve que « jouer au foot, c’est sympa, mais si c’est pour évoluer au dernier niveau de district toute sa vie, ce n’est pas la peine. »

Nathanaël Pitel était joueur et arbitre en amateur, puis on lui a demandé de choisir et « ça s’est fait naturellement ».
Quant à Elodie Coppola, aussi loin qu’elle se souvienne, « le dimanche a toujours été un jour de football ». Quand elle a voulu s’y mettre, à 16 ans, les trajets étaient bien longs entre Douarnenez [Finistère] et les rares autres clubs féminins.
« J’ai choisi l’arbitrage pour pouvoir me rapprocher de ce sport. Courir, me défouler. Et ce qui était un compromis est devenu une véritable passion. J’ai gravi les échelons et je m’éclate. »
Malgré les obstacles.

1. Les critiques : « Un argument pour masquer leurs propres lacunes »


Les arbitres français traînent la réputation d’être mauvais. Depuis 2001, aucun d’entre eux n’a arbitré de finale européenne. Aux JO de 2012, ils n’étaient même pas représentés. En Ligue 1, ils sont mis en cause toutes les semaines.
A l’automne dernier, le directeur sportif du PSG, Leonardo les avait dézingués après le match nul de son équipe à Montpellier (1-1) et l’expulsion du défenseur parisien, Mamadou Sakho, qui a fait débat :
« Les arbitres ne sont pas professionnels. »


Après le match Saint-Etienne-PSG (2-2) en mars dernier, Antony Gautier avait été sévèrement critiqué pour un penalty accordé au PSG et pour une faute oubliée sur le but stéphanois. Depuis, il a fait son mea culpa. Il « revendique le droit à l’erreur pour tous ».
« Quand un entraîneur fait un mauvais choix tactique ou qu’un joueur manque un penalty décisif, un arbitre ne va pas s’exprimer dessus.
Il faut être lucide : nous sommes des êtres humains. Souvent, après un match, quand des présidents, des entraîneurs ou des joueurs critiquent un arbitre, c’est parce que les choses ne se sont pas déroulées comme prévu pour eux. C’est un argument pour masquer leurs lacunes. »
Antony Gautier ne pense pas que les comportements du foot professionnel influencent celui d’en bas, même s’il reconnaît le statut de « vitrine ».
Pour Nathanël Pitel en revanche, le lien est évident :
« Il n’est pas rare, lorsqu’on essaye de faire respecter certains points de règlement le dimanche après-midi que des joueurs me disent : “Regarde, eux ils le font en Ligue 1.”
Yann parle avec l’enthousiasme des nouveaux et juge que “la contestation et l’erreur font partie du métier”. Il relativise en se disant que sa décision fera toujours un déçu, puisqu’il y a deux camps, et glisse un tacle :
“Les joueurs font beaucoup plus d’erreurs, de surcroît sur des choses travaillées à l’entraînement.
On a par exemple critiqué l’expulsion de Rod Fanni lors de PSG-Marseille [le 31 octobre dernier]. Or, l’arbitre n’a fait qu’appliquer le règlement et c’est ce qu’on lui demande.”


2. Les médias : “La stigmatisation de l’arbitre permet de faire de l’audience”


C’est surtout l’impact des médias sur le public qui gêne les arbitres. Tous dénoncent les images montrées en boucle, au ralenti, sous tous les angles, qui, parfois, ne permettent même pas de trancher sur un plateau télévisé.

Elodie Coppola :
“A la mi-temps, il serait par exemple intéressant de passer trois images au public dans les conditions de l’arbitre. Et ensuite de voir qui a raison et qui a tort. Il y aurait des surprises.”
Les arbitres français sont accusés de vivre en vase clos et d’être arrogants. Certains consultants ont fait du dézingage d’arbitre une marque de fabrique. Antony Gautier y voit du marketing éditorial :
“Dans les médias, la stigmatisation de l’arbitre permet de faire de l’audience ou de vendre du papier. De faire du buzz, même quand nous faisons seulement appliquer le règlement et que les choses sont claires.”
“Nous sommes des personnes assez investies pour reconnaître nos erreurs”, juge l’arbitre professionnel. Après ses matches de première division féminine, Elodie Coppola les regarde en vidéo, pour progresser.

Et protéger. Elodie Coppola :
“Si l’on prend le match France-Espagne, les réactions des commentateurs suite à l’exclusion de Pogba étaient injustifiées. Ses deux fautes méritaient un jaune, puis un rouge.”
Est-ce qu’il faut attendre qu’un joueur soit blessé pour sanctionner ? Le but est de protéger l’intégrité physique. »


3. La violence : « Ca n’empêche pas les belles histoires »

La violence est souvent verbale. Des injures. Des menaces, du genre « on t’attend à la sortie ». Parfois, c’est pire : début avril, Nathanaël Pitel a été roué de coups sur un terrain. Un match de district, sans enjeu, où le plaisir est censé prévaloir, mais qui opposait des équipes réputées à problèmes.

Des joueurs se chauffent. Il intervient. Il est étranglé, mis à terre et frappé à la pommette. Il fait une crise d’épilepsie :
« On m’avait déjà agressé en 2010. On m’avait bousculé et attrapé à la gorge. C’était la journée du fair-play. »
Il a reçu le soutien de tout le monde. Une lettre de la FFF. Ça lui donne envie de continuer. « Et puis, les trois-quarts du temps, faut dire que ça se passe bien. »

Tout de même, la tension est palpable certains après-midis. Certains de ses collègues évitent de mettre des cartons le dimanche, par peur que ça dégénère.

En amateur, l’arbitre central est le seul officiel : ses assistants sont bénévoles. Et s’il refuse d’aller diriger un match qu’il sait tendu, il sera sanctionné.

Nathanaël recroise parfois des joueurs avec qui il a eu des « mots » :
« Un jour, un joueur m’a insulté, menacé. Il a pris six matches de suspension. Quand je le vois, c’est le premier à qui je dis bonjour.
Je trouve le contexte plus violent qu’avant, mais ça n’empêche pas les belles histoires et saluer le bon boulot des clubs dans leur majorité. Je vois par exemple des entraîneurs ne pas hésiter à sortir un joueur trop excité, avant même que j’intervienne. »
Le rôle des éducateurs revient forcément. Ce sont parfois eux qui jettent de l’huile sur le feu. Tous n’ont pas forcément les bases du métier ni l’esprit du jeu. 

 
Nicolas Rainville face aux joueurs de Saint-Etienne à Nancy en mai 2012 (Jean-Christophe Verhaegen/AFP)

Dans le foot féminin, « les valeurs sont plus saines », certifie Elodie Coppola. Et quand elle arbitre des hommes, le fait d’être une femme la protège :
« Une fois, j’ai vu un joueur sprinter vers moi et je me suis demandé où est ce qu’il allait s’arrêter. Mais ça n’est jamais allé plus loin. »
Elle remarque toutefois que les matches dans les divisions les plus basses sont plus saccadés. Le temps de jeu effectif est plus faible, donc les joueurs ont donc plus le temps de s’exprimer.
Chez les jeunes, Yann n’a eu qu’un seul souci en deux ans. Il entend parfois « certaines choses » venues des tribunes, mais ne s’en formalise pas.
Tous disent que plus de communication permettrait de changer les choses. Sur les arbitres « cow-boys », que les joueurs accusent d’allumer les mèches, ils esquivent la question ou restent flous. Antony Gautier :
« Les choses se passent forcément mieux dès lors qu’il y a de l’échange. Néanmoins, pour cela, il faut être deux et être prêt à écouter les arguments de l’autre. Parfois, les joueurs ne viennent pas pour discuter, mais pour directement contester une décision. »

4. La vidéo : « L’erreur fait partie du jeu »


En décembre dernier, lors de la Coupe du monde des clubs, la vidéo a été utilisée sur la ligne de but, pour savoir si le ballon la passait ou non. Le dispositif sera reconduit au Mondial 2014.
Pour l’instant, les instances ne vont pas plus loin, et ça convient tout à fait à Antony Gautier, qui défend la dimension humaine du football :
« Je ne suis pas pour la robotisation de l’arbitrage. Mais c’est ma dimension humaniste. L’arbitrage à cinq, par exemple, est un succès. La vidéo ne permettra pas de résoudre tous les conflits.
Cette idée est fausse. De nombreuses décisions, sur des points de réglement complexes, ne peuvent être prises qu’après une interprétation humaine, en l’occurrence celle de l’arbitre. L’erreur fait partie du jeu. »
Elodie Coppola est moins catégorique :
« La vidéo sur la ligne, oui. Mais l’utilisation des images de manière généralisée poserait un problème de temps. On se rend compte, déjà, que même avec plusieurs ralentis sur une action, le débat persiste.
L’image est aléatoire. Il y a les cadrages, la manière dont on la prend. Et ça n’aide pas forcément à prendre des décisions. »




Source : rue89.com

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