29 novembre 2009

Michel VAUTROT : "Je ne suis pas un héros"

Cet homme-là ne s'arrêtera jamais. Près de vingt ans après avoir mis un terme à sa carrière d'arbitre, Michel Vautrot passe toujours son temps à jongler avec les fuseaux horaires et les correspondances d'avion. De retour dans sa bonne ville de Besançon vendredi dans la nuit après une semaine passée en Turquie pour le compte de l'UEFA, l'homme aux cinq finales de Coupe de France mettra demain le cap sur Paris pour y recevoir la Légion d'Honneur. Son nom avait été suggéré par Jacques Chirac avant la fin de son mandat présidentiel mais c'est Nicolas Sarkozy lui-même qui accrochera le ruban symbolique lundi. Un hommage républicain en forme de réhabilitation pour le Franc-Comtois six ans après le scandale (voir note ci-dessous) qui avait abouti à son départ du poste de Directeur technique national de l'arbitrage (DTNA).
Déjà titulaire de l'Ordre national du mérite depuis dix ans, Michel Vautrot sera fait chevalier de la Légion d'Honneur demain à l'Elysée par Nicolas Sarkozy
Michel Vautrot, vous rentrez de Turquie où l'UEFA vous avait confié une mission. De quoi s'agissait-il ?

J'étais délégué et observateur des arbitres sur le match Turquie - Angleterre dans le cadre des éliminatoires du Mondial féminin.

Il existe un grand décalage entre les sollicitations dont vous faites l'objet par les instances internationales et votre absence du paysage footballistique national depuis 5 ans...

C'est vrai que sur les deux derniers mois, pour l'UEFA et la FIFA, je suis allé à Chypre, en Italie, en Jordanie, en Arménie et en Turquie. C'est une chance énorme pour moi sur le plan humain parce que ça me permet de rencontrer des gens comme le frère du roi de Jordanie ou les victimes du tremblement de terre de L'Aquila en Italie. Grâce à cela, j'apprends en direct ce que je n'ai pas eu la chance d'apprendre dans les livres en étant plus jeune…

Il n'empêche que ce décalage devient choquant au moment où l'arbitrage français peine à s'extraire du marasme ?

C'est vrai qu'à l'étranger, cette situation choque beaucoup de gens. À commencer par l'UEFA qui, au moment de mes ennuis, avait commandé un rapport détaillé et m'a toujours soutenu. Mais en France, ça n'a pas l'air d'être le cas : la FFF a organisé son assemblée générale en 2007 chez moi à Besançon et je n'ai pas été invité ni même cité. Il y a eu la volonté de me faire taire comme les dissidents à l'époque de l'URSS parce que je dérangeais! J'ai été traité comme une merde (sic) pour avoir voulu faire le ménage et mettre fin à certaines dérives au sein du corps arbitral. C'est ce qui m'a conduit à ne plus mettre les pieds dans un stade en France tant que mon honneur ne m'aurait pas été rendu.

Avez -vous le sentiment que votre sacrifice ait fait avancer les choses ?

Sincèrement, non ! Plus rien ne sera jamais comme avant. Le mal est profond et les clans trop influents. Je suis écœuré quand j'entends d'anciens arbitres de bon niveau mais sans plus continuer à régler des comptes et à cracher dans la soupe après avoir raccrocher leur sifflet. Moi, je ne suis jamais tombé là-dedans et pourtant, j'ai eu neuf demandes pour faire un livre sur mes ennuis. Mais il faut espérer que le temps fera son œuvre et que tout ça cicatrisera. Nous aurons un représentant à la prochaine Coupe du monde, c'est déjà un premier pas.

De quel mal souffre l'arbitrage français ?

Au nom des intérêts individuels, on a sacrifié une génération. On n'a pas voulu faire le ménage quand je l'ai signalé et ç'a été un immense gâchis. C'est vrai que l'image de l'arbitrage français n'est pas très bonne, y compris à l'étranger. On entend souvent qu'il manque de leaders mais ces dernières années, les leaders se sont entre-déchirés ! On a découragé les meilleurs et on s'est retrouvé face à un désert. Maintenant, pour avoir des leaders, il faut des années. Le leadership, ça ne se décrète pas ! On a quand même Stéphane Lanoy qui émerge et qui sera notre représentant en Afrique du Sud en 2010. Ça, ça me réjouit parce qu'humainement, c'est un super mec.

La Légion d'Honneur qui vous sera remise lundi est pour vous une forme de réhabilitation après ce que vous avez vécu ?

Tout dépendra de la façon dont le Président Sarkozy présentera les choses... Mais, je ne vais pas dire le contraire, c'est une reconnaissance envers le combat que j'ai mené. Ça prouve qu'il ne faut jamais vendre son âme ni baisser la tête quand on sait qu'on mène le bon combat. Mais je ne suis pas un héros pour autant. Ma Légion d'Honneur, je considère que je l'ai déjà eue en 2004 quand tous mes amis arbitres de Franche-Comté ont quitté l'UNAF pour fonder l'AFAF en signe de soutien.

Peut-on imaginer vous revoir sur les stades français ou dans les instances nationales dans les mois qui viennent ?

J'aurai sans doute moins de scrupules à aller dans les stades à l'avenir mais je doute que la FFF me tende la main. Je n'ai jamais eu la moindre excuse de sa part même s'il y a aujourd'hui quelqu'un qui dort en prison (ndlr: Xavier Pettinato, voir ci -dessous). Mais ça ne me dérange pas.

Qu'inspire à l'ancien arbitre que vous êtes la polémique qui a suivi le match France - Eire ?

Moi je ne suis ni pour la vidéo, ni pour l'arbitrage à cinq. Et si l'on regarde bien, ce ne sont pas ces problèmes là que soulève la main de Thierry Henry mais plutôt la perversité d'un système où tous les moyens sont bons pour gagner. Pourquoi n'est-il pas envisageable qu'un joueur auteur d'une tricherie aille se dénoncer à l'arbitre ? Quand une civilisation oublie à ce point les vraies valeurs, ça sent la fin…
Jurassien de coeur
Estampillé bisontin, Michel Vautrot est pourtant né jurassien avec des grands-parents paternels établis à Dampierre et un grand-père maternel maire d'Antorpe, commune de l'extrême nord du Jura où il a vu le jour en 1945 et aujourd'hui rattachée à Saint-Vit. « Mon grand-père avait aussi été décoré de la Légion d'Honneur en son temps. Il avait fait la guerre 1914-18 et la méritait davantage que moi. » Deux communes qui sont toujours chères au cœur de Michel Vautrot puisqu'on y trouve depuis quelques années un complexe sportif (Saint-Vit) et une place (Dampierre) portant son nom.
Autre source d'attachemen au Jura, les dix ans passés à enseigner au lycée de Montciel (1969-79). « J'ai pleuré en quittant Montciel ». Rien d'étonnant donc à ce que le contingent jurassien invité par Michel Vautrot demain à l'Elysée pour assister à la cérémonie de remise de la Légion d'honneur soit fourni: on devrait y retrouver Rosaline Coulon, membre du conseil municipal de Dampierre, le député Jean-Marie Sermier, le docteur Gérard Nicolet et les anciens arbitres Bernard Coutet et Stéphane Moulin aux côtés d'autres personnalités franc-comtoises (Alain Joyandet, Jean-François Humbert, Jean-Louis Fousseret…).
NDLR :
En 2003, alors qu'il occupait le poste de directeur technique national de l'arbitrage, Michel Vautrot dénonce un trafic de portables, d'ordinateurs et de vêtements revendus à prix modiques à certains arbitres. Derrière ce trafic, un certain Xavier Pettinato, proche de l'arbitre Stéphane Bré. La Ligue nationale et la FFF ne donnent pourtant pas suite ce qui provoque la démission de Michel Vautrot en 2004. Xavier Pettinato a été condamné à 4 ans de prison ferme en mai dernier pour une escroquerie immobilière.

Recueilli par S.Cléau

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