23 avril 2013

Rencontre avec "La P'tite Flo"

 

Voilà quinze ans qu’elle arpente, avec son sifflet, ses cartons et son autorité, les terrains de football en Franche-Comté… et bien au-delà. 

Rencontre avec l’arbitre bisontine Florence Guillemin.


À la voir évoluer, fluette, coquette, dans son charmant petit appartement bisontin, on a franchement du mal à l’imaginer lâchée au milieu de vingt-deux footballeurs gavés de testostérone. Avec, qui plus est, la délicate mission de les diriger. C’est pourtant le tour de force que réussit naturellement Florence Guillemin chaque week-end, et ce depuis déjà quinze ans. Arbitre régionale, fédérale, puis internationale FIFA depuis 2006, la jeune femme, prof d’anglais dans un collège de Roulans la semaine, a réussi à se faire une place de choix au soleil de l’arbitrage. Le tout grâce à un caractère bien trempé, et une sincère passion pour le ballon rond.


Florence, avez-vous joué au football avant de devenir arbitre ?
Non, non, mais personne ne le sait ou presque (rires). Enfin, maintenant, si ! En fait, je suis arrivée dans le foot par hasard. Je faisais partie de l’ES Naisey, et en 1997, ils avaient besoin d’un arbitre. Avant, j’étais supportrice de ce club où il y avait mon oncle, mes cousins, et ils m’ont un peu chambrée en disant que je n’avais pas le caractère pour devenir arbitre, etc. Or, ils savaient très bien qu’ils avaient trouvé la corde sensible, car le caractère, je l’avais ! J’ai donc potassé le bouquin des règles du jeu pendant une année, je pensais qu’il fallait le savoir par cœur ! Alors, quand je suis arrivée à l’examen, ils ont pensé que j’étais dingue, parce que je savais tout en détail…
Et vous commencez donc à diriger vos premiers matches à seulement 17 ans…
Oui, et ça a été dur les deux premières années, lors des matches de 13 ans et 15 ans. Il faut tout maîtriser, savoir se placer… et se faire engueuler tous les dimanches ! Ce sont surtout les parents et les entraîneurs d’ailleurs. C’est dur à encaisser, mais sur le terrain, je ne laissais rien transparaître. C’est un très bon test pour se forger le caractère. Par contre, j’avoue que quand je rentrais, j’étais parfois dégoûtée. Je me disais que j’avais raté ça, et ça, et ça…
Vous parlez de caractère. C’est indispensable pour être arbitre ?
Oui, bien sûr. Subir des critiques pendant 90 minutes de la part des joueurs, de l’entourage… si on n’a pas le caractère, on arrête.
Voilà quinze ans que vous le vivez. Est-ce que maintenant, vous arrivez justement à faire abstraction de toutes ces critiques ?
Quand on est arbitre centrale, on n’entend pas spécialement ce qui se dit. Les supporters, on les entend de loin, c’est un bruit de fond quand on est concentré dans son match. Donc, oui, ça me passe assez loin tout ça maintenant. Il y a juste parfois les critiques des entraîneurs dans la presse. Parfois, on s’en prend plein la tête, et on n’a jamais de droit de réponse. On pourrait, mais on ne le fait pas. Je trouve ça assez injuste. On a toujours tort d’après eux, ils peuvent nous insulter par presse interposée, et nous, par notre fonction, on doit rester stoïques. Et puis, si les entraîneurs étaient honnêtes, ils reconnaîtraient qu’eux non plus ne prennent pas toujours les bonnes décisions sur le terrain.
Être une femme qui arbitre des garçons, c’est, finalement, un avantage ou un inconvénient ?
Ca dépend des jours… Souvent, ils n’osent pas dire ce qu’ils pensent quand c’est négatif. Il peut y avoir plus de complicité avec les garçons quand ça se passe bien, un peu de retenue aussi.
Quel est votre meilleur souvenir d’arbitrage ?
Ah, je pense à une rencontre qui s’est déroulée l’an dernier à Middlesbrough, un match amical entre la Grande-Bretagne et la Suède juste avant les Jeux Olympiques. J’ai vécu deux ans dans le Nord de l’Angleterre, et j’avais un abonnement à l’année dans ce club de Middlesbrough de 2001 à 2003. J’ai vu des super matches là-bas. Et y retourner comme ça, en tant qu’arbitre centrale, c’était génial ! J’étais allée tellement de fois dans ce stade… Et là, il y avait 10 000 spectateurs. Ce soir-là, je me suis dit que la boucle était presque bouclée, que la retraite allait bientôt sonner.
Sérieusement ?
Oui, j’y pense. Je n’ai pas non plus spécialement envie d’arbitrer jusqu’à 50 ans…
Car vous avez certainement vécu aussi quelques galères. Quel est d’ailleurs votre plus mauvais souvenir ?
Facile… J’ai eu la chance, ou la malchance, d’être appelée du jour au lendemain pour dépanner lors d’une Coupe du Monde U20 en Allemagne, car des filles avaient raté leurs tests. Je suis donc partie vite fait, et la veille d’un match, suite à une blessure, on m’a demandé d’arbitrer Ghana - Suisse. Mon pire souvenir… Il y a un carton rouge qu’on n’a pas vu, une sorte de coup de coude bien dissimulé qui se détectait sur les images, mais qu’on n’a pas capté. Ça arrive. Or, la joueuse victime a mis vingt minutes à sortir du terrain, avec les cervicales touchées. Alors, quand tu n’as pas vu la faute, que tu ne sais pas pourquoi la fille est dans cet état pendant vingt minutes, tu prends un peu le bouillon. Ce jour-là, l’entraîneur suisse a pété un câble, et j’étais à la limite de prendre une claque, vraiment. Il était tellement énervé que j’ai dû l’exclure, et ça a été à deux doigts de mal se finir pour moi. Ça m’a bien calmé. En plus, ensuite, il y a débriefing du match avec l’UEFA devant 40 personnes, c’était ma fête. Que tu sois appelée in extremis avant de partir en vacances et que tu remplaces au pied levé une collègue ne sont en aucun cas des circonstances atténuantes…
Votre maîtrise parfaite de l’anglais constitue un vrai atout pour vous. Mais quel souvenir conservez-vous de ces années passées à vivre en Angleterre ?
Un très bon souvenir. J’y serais même restée si j’avais pu faire le métier que je voulais. Le souci là-bas, c’est qu’un professeur doit enseigner deux matières. J’avais le français, j’aurais pu l’allemand aussi… mais ce n’était pas possible. C’était trop compliqué pour que je me remette à niveau et que j’arrive à l’enseigner de manière correcte. Sinon, ce qui m’a plu en Angleterre, c’est la mentalité des gens. Ils travaillent beaucoup plus qu’en France, mais ne se plaignent jamais. Et arrivé le vendredi à 18 h, ils posent leurs affaires, vont boire un coup dans un pub avec leurs potes et passent à autre chose. Ils ne sont jamais en grève, ça aussi c’est appréciable. Je me suis rendue compte que la vie était beaucoup plus détendue là-bas. Et puis, le foot, il n’y a rien à voir. Par exemple, quand j’allais au Riverside Stadium à Middlesbrough (club équivalent à Sochaux qui évoluait en Premier League en 2003), le stade était toujours plein, les supporters encourageaient leurs joueurs quel que soit le score, du début à la fin. Je suis presque devenue supportrice de ce club ! Maintenant, je retourne en Angleterre… avec mes élèves !
Pour en revenir au football, est-ce qu’il y a parfois des joueurs qui essaient de vous draguer ?
(Rires) Non, non. On blague sur certains trucs, mais dans l’ensemble ça se passe bien. Ils sont là pour jouer leur match, et l’arbitre, j’ai l’impression qu’ils se moquent un peu que ce soit un homme ou une femme.
Et donc, vous pensez arrêter sous peu. Vous avez une date en tête ?
Oui, mais je ne veux pas la dire (rires). Je pense que c’est compliqué quand on est une femme. Avec Michel Vautrot, on parle souvent de la vie en général. En fidèle ami, il m’a toujours dit «préoccupation n°1 la famille, ensuite le travail et après l’arbitrage». Lui qui a dévoué sa vie entière à l’arbitrage se rend bien compte qu’on est vite oublié dans son pays. Et il m’a dit un jour : « Tu sais quand je serai vieux, qui viendra me voir quand je serai à l’hospice? Qui se souviendra de moi dans dix ans ? Déjà aujourd’hui… ». Et en fait, il a raison. L’arbitrage c’est une passion, un bonus, mais la réussite de sa vie affective et familiale est ce qui compte le plus. Il me dit que le jour où j’ai envie de faire des enfants, je ne dois même pas me poser la question. L’arbitrage, c’est un engrenage : quand on atteint un niveau correct, techniquement, c’est toujours possible d’aller plus haut. Mais à un moment donné, c’est compliqué de tout faire : un métier à plein temps, l’arbitrage avec les entraînements et les matches qui se jouent parfois à 500 kilomètres ou à l’étranger… On ne peut pas tout faire, et je ne suis pas une « superwoman ». Alors, il y a des choix à faire. Quand j’aurai des enfants, je ne suis pas certaine d’être capable de laisser la poussette le week-end et d’aller arbitrer l’esprit tranquille. Alors, le meilleur moment pour stopper, c’est quand on n’est pas encore sur le déclin… et surtout qu’on l’a décidé soi-même.

Source : Le Pays, Photo : Sébastien Daucourt

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