Son regard, teinté de tristesse et d’une froide
détermination, ne laisse planer aucun doute : le traumatisme qu’il a
subi est profond. Agressé dimanche après-midi par deux joueurs de la
réserve de Fesches-le-Châtel (voir notre édition d’hier), Nathanaël
Pitel, étranglé puis frappé à la pommette alors qu’il se trouvait au
sol, aura bien du mal à tourner la page de cette sombre journée. Rentré
de l’hôpital dimanche en cours de soirée avec une ITT de trois jours,
cet arbitre de 33 ans, qui réside à Montbéliard, a passé sa journée
entre la gendarmerie, où il devait déposer plainte, et le district
Belfort-Montbéliard, où il a reçu un soutien sans faille en fin
d’après-midi. Au milieu de cet emploi du temps dont il se serait bien
passé, Nathanaël Pitel a tout de même bien voulu répondre à nos
questions. Et raconter des événements qui font véritablement froid dans
le dos.
Nathanaël, une première question toute simple : comment allez-vous ?
J’ai
quitté l’hôpital de Montbéliard à 21 h dimanche soir, ils ont regardé
ma pommette qui, heureusement, n’est pas cassée, avant de me donner
trois jours d’ITT (Interruption Temporaire de Travail). Mais je suis
surtout très choqué, démoralisé. C’est simple, je pleure pratiquement
tout le temps depuis dimanche.
Pour en revenir au match, avez-vous senti la tension monter avant votre agression aux alentours de la 70e minute ?
Oui,
c’était un match tendu. Déjà dans les vestiaires avant le coup d’envoi,
j’ai senti que les deux capitaines se chauffaient (NDLR : le premier
match entre les deux équipes s’était déroulé six jours plus tôt dans une
ambiance tendue)
Et puis arrive ce fait de jeu, assez banal, mais qui aura des conséquences terribles…
En
effet, c’est parti d’un choc anodin entre deux joueurs. Il n’y avait
franchement pas mort d’homme. Le gars du BRCL (l’équipe adverse) était
par terre, et alors qu’il allait se relever, un joueur feschois a dit à
l’un de ses coéquipiers : « Vas-y, nique-le ». J’ai alors appelé ce
joueur pour lui mettre un rouge, mais je n’ai même pas eu le temps car
le N°2, qui n’avait rien à voir, est venu s’en mêler. Je lui ai répliqué
que ce n’est pas lui que je voulais voir. Il m’a répondu : « Si, tu ne
parles qu’à moi ».
Et les coups sont arrivés dans la foulée ?
Il
m’a d’abord poussé un peu en mettant ses deux mains sur ma poitrine, et
là je lui mets directement un carton rouge. Et tout de suite, il a
commencé à m’étrangler. J’ai senti ma respiration se bloquer, ça a duré
environ dix secondes, et ensuite il m’a foutu par terre. Je me suis
alors recroquevillé sur moi-même, et là, un autre joueur m’a donné un
coup de poing sur la pommette. C’est là que j’ai commencé à faire une
crise d’épilepsie, j’y suis sujet.
Ensuite, de quoi vous souvenez-vous ?
Pas
grand-chose. Quand je fais une crise, ça occasionne un trou de mémoire,
puis une très grosse fatigue. Apparemment, j’ai perdu connaissance
pendant une minute, des joueurs et des délégués m’ont pris en charge, et
quand j’ai repris mes esprits, j’étais allongé dans les vestiaires. Les
pompiers sont arrivés, puis j’ai dû attendre les gendarmes avant d’être
transféré à l’hôpital.
Une telle agression doit vous donner envie de stopper toute activité d’arbitrage, non ?
Si on me demande aujourd’hui, oui, j’arrête ! Mais je préfère réfléchir à tête reposée avant de prendre une telle décision.Deux agressions comme celle-là, ça fait un peu beaucoup
Est-ce la première fois de votre carrière que vous êtes victime de tels actes ?
Non,
malheureusement, il y a eu une première agression, je crois que c’était
en novembre 2010 lors d’un match entre Dampierre et les SR Belfort. Un
joueur m’avait attrapé à la gorge, puis le gardien m’avait bousculé. Ce
jour-là, c’était la journée du fair-play… Et deux agressions comme
celles-là, ça fait un peu beaucoup.
Comment ont réagi votre famille et votre entourage ?
Mes
parents sont en Normandie, et mon frère est à Grand-Charmont. Il me dit
de passer si j’en ai besoin, bien sûr. J’ai aussi beaucoup d’amis, et
heureusement qu’ils sont là, tout comme les autres arbitres, les gens du
district qui me demandent des nouvelles. Ça me fait chaud au cœur, et
c’est aussi pour ça que j’attends avant de prendre une décision
concernant ma fonction d’arbitre.
Pour terminer, qu’avez-vous envie de dire après ce triste épisode ?
Que dans le foot, il n’y a vraiment plus aucun respect. Pour rien.
Source : Le Pays, photo : Lionel Vadam