13 octobre 2009

Vautrot, le maître abandonné

C'est sans aucun doute la plus grande référence en matière d'arbitrage. Reconnu dans le monde, Michel Vautrot est banni dans l'Hexagone.

Vous dites que le problème de l'arbitrage n'est pas celui des arbitres, mais que c'est un problème général, c'est-à-dire ?

« Concernant l'arbitrage, on a l'impression que c'est facile, pas cher et que ça peut rapporter gros. La remarque que je fais souvent est que tout le monde connaît les règles de l'arbitrage, sauf les trois gugusses en noir au milieu du terrain. Vous savez, le football n'a pas été inventé pour les arbitres, ces personnes qui sont considérées comme les empêcheurs de tourner rond. On s'est pourtant rendu compte que sans arbitre, il n'y a pas de match possible. Et puis, comment se fait-il que l'on manque cruellement d'arbitres alors que tous les spectateurs connaissent aussi bien le métier ? Comme de toute façon, l'être humain ne peut s'autodiscipliner, l'arbitre est nécessaire. Il doit y avoir un respect général des hommes et de la fonction de la part de tous pour que le football tourne bien. Il faut aussi que les jeunes se dirigent vers cette fonction. L'arbitrage, c'est l'école de la vie. En ce qui me concerne, je lui dois tout. »

Aujourd'hui, vous pensez que les arbitres sont moins libres, qu'ils dépendent de certains pouvoirs ?

« Il est clair que tout a changé aujourd'hui. Arbitre est devenu un deuxième métier, davantage rémunéré que le travail principal. C'est mérité, mais cela a changé la donne. C'est beaucoup plus business. À mon époque, j'ai eu la force de caractère de pouvoir agir en libre arbitre. Depuis plusieurs années, il s'est passé beaucoup de choses chez nous avec de sombres histoires apportant de mauvaises ondes. À l'étranger, on ne nous prend pas au sérieux, certainement pas en ce qui concerne notre manière d'arbitrer mais pour ce qui tourne autour. Aujourd'hui, plus personne ne s'y retrouve. En fait, l'arbitre devrait être indépendant, travailler en prestataire de service pour la Ligue professionnelle, cela éviterait la peur de perdre cette indépendance. »

Vous êtes l'arbitre français le plus connu et apprécié à l'étranger, alors qu'en France les autorités vous évitent, quel est le problème ?

« C'est une situation qui me fait mal au cœur. On m'a traité comme une merde, on m'a fait passer pour un fou et j'ai décidé de ne plus mettre les pieds dans un stade tant que l'on ne me rendra pas mon honneur. Cela fait cinq ans et je n'ai rien à faire dans ce monde-là. Si je suis un voyou, alors effectivement je n'ai rien à y faire. »

On n'est pas un voyou lorsque l'on dénonce des agissements douteux. C'était d'ailleurs votre rôle ?

« J'étais à l'époque responsable de la Direction technique nationale de l'arbitrage et j'avais dénoncé certains agissements douteux dans un rapport remis à la FFF. C'était en 2003. La Fédé et la Ligue n'ont jamais donné suite et ils sont même allés jusqu'à me menacer de renvoi si je prononçais le nom de celui se trouvant au centre de cette affaire, un certain M. Pettinato. J'ai donc démissionné en juillet 2004. Quoi qu'il en soit, j'ai en ma possession de nombreux documents concernant cette affaire. Ce genre de situation n'existe que dans les républiques bananières. Et puis, sachez que je ne suis pas à la rue. Si je passe pour un fou en France, ce n'est pas le cas à l'étranger où, visiblement, je suis un peu plus compétent. Je suis souvent sollicité par l'UEFA pour diverses missions (lire Michel Vautrot en bref). Il faut savoir que les instances européennes du football me soutiennent dans cette lutte contre toutes ces immoralités. »

Il n'y a plus beaucoup de sifflets tricolores sur le plan international, pourquoi ?

« Un arbitre de haut vol ne sort pas du chapeau d'un magicien, il doit avoir une certaine expérience. Quand j'ai compris que beaucoup d'arbitres français allaient partir, je voulais mettre des jeunes. À partir de ce moment, les anciens se sont rebellés, sans doute par intérêt personnel. Je pensais à la relève, c'est tout ! Aujourd'hui, alors que des pays bénéficient de plusieurs désignations, Stéphane Lannoy sera sans doute le seul à être présent à la prochaine Coupe du monde. Je ne m'étais pas trompé sur lui, c'est un très bon qui a quand même manqué d'un rien la relégation en L2. En France, il y a des éléments de valeur. Maintenant, il faut laisser le temps au temps. »


Comparés aux étrangers, les arbitres français ont-ils un comportement différent avec les joueurs ?

« Partout, il y a une culture arbitrale, qu'elle soit russe, anglo-saxonne ou latine. L'arbitre est donc imprégné de cette culture. On dit toujours aux arbitres de savoir s'adapter, de bien lire le jeu et, aussi, de comprendre l'esprit. Le meilleur sera celui qui aura la capacité de juger davantage en fonction de l'esprit que de la lettre. »
Quel est, selon vous, l'âge idéal d'un arbitre en pleine possession de ses moyens ?
« Certains disent que 45 ans, c'est trop tôt. Pour moi, c'est l'âge limite. La FIFA fait de plus en plus confiance aux jeunes et, honnêtement, c'est bien. Si les anciens font toujours les grands matches, les jeunes n'auront pas l'occasion de s'aguerrir.Il convient de bien gérer le présent mais surtout le futur. »

Est-il vrai que vous avez arbitré votre dernier match à Troyes ?

« Non, j'aurais bien aimé car c'était un de mes stades « fétiches » et j'y compte de nombreux amis du foot. Mon dernier match international fut Belgrade - Inter Milan en décembre 1990 et, en France, Nice-Marseille en mai 1991. À cette occasion, ma région de Franche-Comté, mon département du Doubs, ma ville de Besançon et la SNCF avaient organisé un train spécial avec plus de 400 personnes venues me rendre hommage. Inoubliable !En fait, j'ai donné mon dernier coup de sifflet officiel à la demande des corpos pour la finale nationale le 8 juin 1991. J'avais débuté avec eux, la boucle était bouclée par un symbole très fort. Je profite aussi de l'occasion pour rendre hommage, par votre intermédiaire, à nos arbitres joueurs et dirigeants de cette fameuse base mise à toutes les sauces mais trop souvent oubliée… et qui souffre de ce qui se passe « en haut » !


Michel Vautrot EN BREF


Dans quelques jours, Michel Vautrot fêtera ses 64 printemps. Né le 23 octobre 1945 à Antorpe, dans le Doubs, l'arbitre français le plus connu à l'étranger possède un palmarès inégalable. II aura dirigé cinq matches de Coupe du monde. Deux en 1982, Italie-Pologne et Belgique-URSS. Il fera mieux en 1990, avec trois rencontres, Pays-Bas-Irlande, Argentine-Cameroun. Sans oublier la demi-finale Argentine-Italie. Il est aussi le recordman du nombre de finales de Coupe de France, cinq au total, (1979, 1982, 1983, 1984, 1987). Par ailleurs, il a arbitré la finale de l'Euro 1988 où les Pays-Bas se sont imposés sur l'URSS. Michel Vautrot a été sacré à dix reprises meilleur arbitre de l'année.C'est en juin 1991 que le Franc-Comtois a rangé son sifflet et pris d'autres responsabilités au sein des instances nationales et internationales en intégrant les commissions d'arbitrage de FIFA et de l'UEFA. Président de la Commission centrale de l'arbitrage, il est également devenu Directeur technique national de l'arbitrage. Il a démissionné de ce poste en 2004 suite à une sombre affaire de corruption qu'il a dénoncée. Un grand moment de solitude pour cet homme qui n'aura jamais été suivi par sa hiérarchie. En revanche, ses missions à l'étranger sont nombreuses. Lâché par la France, il reste la référence dans le monde de l'arbitrage. Il suffit de regarder son emploi du temps de cet été : responsable de la phase finale du Championnat d'Europe féminin en Suisse, Ligue des champions au Montenegro et en Azerbaïdjan, Europa ligue au Danemark et à Fenerbahçe, encadrement des U 21 en Arménie, séminaire des arbitres au Qatar, audit sur l'arbitrage en Jordanie, séminaire en Syrie et trois semaines fin septembre en Jordanie pour superviser les premières journées de championnat. Rien que ça !



Source : Article de Michel GASSE (L'Est Eclair)