26 juin 2009

Stéphane Moulin range son sifflet

L'arbitre franc-comtois prend sa retraite après trente années d'activité, dont onze en Ligue 1

Alors ça y est, vous tirez votre révérence ?
« Oui, c'est un moment particulier. J'ai atteint la limite d'âge et ma carrière s'arrête là, après trente ans de service.

Vous deviez arbitrer en L2 cette saison…
Oui et malheureusement, je n'ai pas pu reprendre, des pépins physiques m'en ont empêché. Du coup c'est un sentiment un peu bizarre qui prédomine. Je ne pensais pas que cet Angers - Châteauroux, l'an passé, était mon dernier match. Mais c'est comme ça, je ne me plains pas.

Comment résumer toutes ces années ?
Avec le sentiment du devoir accompli. Avec celui aussi d'avoir réalisé un rêve. Quand j'ai commencé, je n'aurais jamais imaginé faire un tel parcours. Je me revois encore très bien en district du Jura il y a une trentaine d'années. J'avais secrètement envie de goûter le haut niveau mais c'était plus un rêve qu'un objectif.

Qu'avez vous appris à travers l'arbitrage ?
L'arbitrage permet de découvrir un tas de choses. Ça dessine et ça révèle un caractère. On se découvre en tant qu'homme, on est confronté à des tas de situations différentes. J'ai appris à m'affirmer, à relativiser aussi. J'ai aussi réalisé que l'arbitrage, c'était une formidable école d'humilité. Vous pouvez être bon, avoir la reconnaissance des gens du milieu et de vos pairs et tout remettre en cause sur un coup de sifflet. Je l'ai vécu, on l'a tous vécu. Après un match, si on ne parle pas de vous, c'est que vous avez bien travaillé. Car il ne faut pas oublier que les vedettes, ce sont les joueurs.

Vous n'avez pas peur du « vide » d'après carrière ?
Non car j'ai eu le temps de m'y préparer. Je n'ai pas arbitré cette saison et je savais à quoi m'attendre. Et puis, je vais garder un pied dans le milieu via la commission régionale d'arbitrage, et j'espère être observateur en National.

Comment avez-vous vu évoluer le football ?
Ce qui a changé la donne, c'est l'hypermédiatisation. Quand j'ai commencé il y avait Canal, on voyait des images mais il n'y avait pas trop de commentaires. Aujourd'hui il y a un tas d'émissions spéciales, des analyses, des magazines polémiques, tout est passé et repassé au crible. On a là tout un environnement médiatique lié au business. Ça génère de l'excès, une surpassion, des effets négatifs.

Lesquels ?
Tout est dans la disproportion. Les dérapages, les violences, on ne voit ces excès que dans le foot. Et le plus malheureux dans l'histoire, c'est que c'est le foot amateur qui en paie les pots cassés. En Ligue de Franche-Comté, on l'a payé cher l'an passé avec douze agressions. Quand j'entraîne en L1 il y a des grillages, des policiers pour me protéger. Sur un terrain de district en revanche, l'arbitre est livré à lui même. L'image a un pouvoir immense et les gens reproduisent les mauvais gestes qu'ils voient à la télé.

Et comment avez-vous vu évoluer l'arbitrage ?
Ces dernières années, la professionnalisation s'est accélérée à vitesse grand V. Il y avait trois jours de stage annuels quand j'ai commencé. Il y en a 45 aujourd'hui. Avant, il fallait arriver quatre heures avant le coup d'envoi. Aujourd'hui, la veille. Les arbitres sont préparés comme des sportifs de haut niveau. C'est un vrai plus et c'était indispensable pour se mettre à niveau du football contemporain, qui lui change très vite.

Comment expliquez-vous le climat délétère qui pèse sur l'arbitrage français ?
On paie les aigreurs de certains, comme ces anciens arbitres devenus consultants qui tapent sur leur ancienne corporation… L'arbitrage est vérolé par des clans et on en a énormément pâti à l'international. Michel Vautrot (ancien Directeur technique national de l'arbitrage, Ndlr) a essayé de faire du ménage et il en a payé le prix fort. Marc Batta essaie de recoller les morceaux mais il se fait allumer… Au-delà de tout ça, on en fait beaucoup trop sur l'arbitrage, comme s'il était à l'origine de tous les problèmes. Comme disait Aimé Jacquet l'arbitrage, c'est l'oreille de la paresse.

Que faut-il pour améliorer l'arbitrage ?
Retrouver plus de sérénité je crois, et faire confiance aux hommes. L'UEFA est dure quand arrive un dérapage, elle défend ses arbitres. Dans ma carrière, je suis allé sur de gros matchs de Champion's League et j'ai vu des gars très sereins au sifflet. J'aimerais voir la même chose en France, qu'il y ait une volonté forte des politiques de soutenir et de faire confiance aux arbitres. Que la fédération sache dire stop quand ça va trop loin. J'ai le sentiment qu'on a désacralisé l'autorité arbitrale en France. Ce n'est pas la peine de signer des chartes morales si deux semaines après, elles sont oubliées.

On vous sent remonté…
Pas plus que ça, je constate, c'est tout. La disproportion, ça m'agace. Les arbitres sont des cibles trop faciles. Quand un joueur tire un penalty au dessus en finale de coupe de France, on va le rassurer, c'est presque un héros malheureux, on n'en fait pas une affaire d'état. En revanche nous, au moindre écart, on nous tombe dessus. On nous traite de voleurs, d'incompétents, de raclures de bidets. Il y a totale disproportion.

Pour revenir à votre carrière, quels sont vos meilleurs souvenirs ? D'éventuels regrets ?
Des moments forts il y en a plein, comme mon premier match en Fédéral, le trophée des champions Nantes - Monaco en 2000, mes sorties internationales, les jeux mondiaux universitaires de Pékin… Des regrets, je n'en ai pas. Je ne suis pas quelqu'un à regretter et je suis plutôt tourné vers l'avenir. Qu'est ce qui vous a manqué pour arbitrer à l'international ?
On rêve et on ne rêve pas. Je me dis que je n'avais certainement pas le petit truc supplémentaire pour aller plus haut, pour aller au centre en Ligue des champions. A ce niveau, ça se joue à pas grand chose, à des points, à des opportunités. J'ai mérité d'être là où je suis allé, voilà tout.

Un nouvel arbitre franc-comtois va arbitrer en Ligue 1, Sébastien Moreira. Ça doit vous faire plaisir ?
Énormément. C'est comme une passation de pouvoir et ça me fait chaud au cœur. C'est un gars très droit, sympa, il mérite. Je trouve ça super qu'une petite Ligue comme la nôtre sorte des arbitres de haut niveau. On va continuer à bosser pour que de nouveaux émergent dans les prochaines années. »

Propos recueillis par Benoit Mouget Journal Le Progres